Conseil départemental des Bouches-du-Rhône

A la proue de Sainte-Victoire

A la proue de Sainte-Victoire

Caresser la montagne du peintre


Un refuge porte le nom de Cézanne dont on célèbre cette année le centenaire de la mort... Au-dessus, un sentier d'émotion part à l'assaut de la grande vague calcaire... Magique !

Deux grands corbeaux tracassiers se disputent un coin de ce ciel provençal si lumineux en hiver qu'il en atteint un bleu ébouriffé de blanc. La haut, sur la vire que l'on atteindra tout à l'heure au prix d'un effort récompensé par une émotion sans pareille, le vent paraît souffler plus fort, si fort que les pierres en frémissent. Vertigineuse vue d'en bas, enfouie dans l'immensité, la Sainte-Victoire est muette. Montagne de dignité, monumentale et primitive...


Muette, énigmatique et hypnotique divinité rocheuse... Cézanne est partout ! Le magnétisme des crêtes, des contours rocheux et des abrupts fracassants est passé dans ses toiles. Par la force mystérieuse de l'art, l'impression s'en retourne au paysage. Alors, se déroule sous les pas du promeneur amoureux comme un processus de restitution sublime. La touche du peintre épouse sa montagne. C'est extraordinaire !

"La géologie, mesure de la terre"

On est parti d'ici,du Pont de l'Anchois, entre le Tholonet et Saint-Antonin-sur-Bayon, sous un rideau de grands pins tiré devant le sommet.

Une courte côte, une superbe oliveraie en terrasse, puis le sentier tracé de jaune s'enfonce en lacets sous les grands pins.

Il ondule dans la colline et en un dernier soubresaut franchit un pont rétréci pour déboucher soudain dans un repli lové sous les hautes parois.

Une petite bâtisse semble s'appuyer contre un piton raide et sec surmonté d'une croix de métal à laquelle on parvient par une sorte de colimaçon naturel. Cet ancien cabanon, c'est le refuge Cézanne.

A contempler alentour le paisible espace dessiné de modestes murets dominés par la grande vague calcaire élancée vers l'infini, on imagine le peintre à son chevalet," au paysage" comme il disait.

Et surgissent du néant ces mots de Paul Cézanne qui mériteraient d'être gravés là, sur un roc tombé des falaises : "Pour bien peindre un paysage, je dois d'abord découvrir la stratification géologique...

Un beau matin, le lendemain, lentement les bases géologiques m'apparaissent, des couches s'établissent, les grands plans de ma toile, j'en dessine mentalement le squelette pierreux...

Je commence à le séparer du paysage, à le voir. Je m'en dégage avec cette première esquisse, ces lignes géologiques. La géologie, mesure de la terre."

A fleur de roche et dans un autre monde...

Plus que jamais dans le paysage du peintre dont Matisse dira un jour "il est notre maître à tous", la géologie accompagne le promeneur. Une terre rouge, argileuse, couvre les couches sédimentaires et, telle une immense gencive, enserre la longue mâchoire rocheuse surgie des temps immémoriaux. A main droite, dès après le refuge,un sentier tracé de jaune file droit vers la paroi, du pourpre poudreux jusqu'au blanc éclatant. Il attaque la montagne en virages serrés, dans la pierraille et la robuste végétation à ras de sol. L'ascension commence sérieusement. Mutante, la montagne est maintenant devenue vaisseau et l'on va contourner sa proue.

La vire est longue, inégale, survolant une mer de vallons et de collines merveilleusement étalés d'Aix aux confins de Gardanne. Une longue caresse sensuelle à fleur de roche, un semblant d'escalade à ravir les enfants aguerris, puis une traversée marquée d'un dernier effort... et voilà le versant nord, au dessus de Vauvenargues.

Un cairn, une de ces petites pyramides composées de pierres soigneusement rangées, est là pour signaler l'arrivée dans l'autre monde.

Il transporte en effet au loin, vers les montagnes soeurs : le fier Luberon surmonté du Ventoux et Lure coiffée du Dévoluy à l'ouest, le fronton des écrins au nord, la barre des Dourbes qui marque la jonction des Préalpes de Digne et de Grasse, enfin plus à l'est le Montdenier, le Chiran et le Mourre de Chanier, hiératiques gardiens du grand canyon du Verdon.

Coup d'oeil circulaire unique

L'immobilité tranquille du cairn contraste avec le dynamisme de la dernière élévation pour parvenir au sommet. Farouche sur un vaste pan incliné, la voie s'élance à main droite vers le Prieuré niché dans un abri naturel sous la grande croix de Provence.

Malmenée par les vents et la rigueur du climat, la végétation est ici plus rugueuse que sur le versant sud. Une dernière rampe et voici la respectable bâtisse privée mais laissée en partage à l'attention, aux bons soins, au respect du public.

Un détour par la Croix pour un coup d'oeil circulaire unique... et pour se retaper un petit en-cas aux senteurs d'ail et d'huile d'olive...

Il est temps de redescendre, à regret, comme le peintre quand il devait se résoudre à essuyer ses pinceaux.Jusqu'au cairn, mais cette fois par un autre itinéraire, en restant sur la droite comme si l'on allait rejoindre la retenue du barrage de Bimont. Quelques centaines de mètres en contrebas, un nouveau cairn marque le passage du retour, à main gauche.

Pentu d'abord,cet autre sentier sensuel finit par flâner dans la colline, sous la haute proue à laquelle on s'accrochait voilà peu. Comme en songe, quatre heures ont passé depuis le départ et l'on s'en va rallier le refuge avant de dévaler, grisés, rassasiés par tant de sensations, vers le parking du Pont-de-l'Anchois. Au-revoir la montagne...

Paul Teisseire

PRATIQUE - Comment y aller ?

On atteint Le Tholonet, puis la route de Saint-Antonin, en quittant Aix par la célèbre Nationale 7, direction Saint-Maximin.Prendre à gauche au coeur de Palette.