Conseil départemental des Bouches-du-Rhône

La douce violence de la Tour des Opies

Entre Eyguières et Aureille

Courte, suffocante, l'expédition qui mène au sommet des Alpilles est unique en son genre.

Pensez aux vents de Provence et dieu sait qu'ils sont tant vigoureux que nombreux... Songez à l'air frais qu'ils déplacent et à la place nette qu'ils font au-dessus des collines... Imaginez-vous sous les plumes fauves d'un rapace, d'un vautour, survolant ces contrées escarpées et scrutant partout alentour ; depuis Eyguières jusqu'à Aureille et, loin derrière la vallée des Baux, de petits sommets en petits sommets jusqu'à la monumentale Sainte-Victoire tandis qu'à peine au sud derrière les renflements de la sèche garrigue se perçoivent d'en haut les grondements de la mer à l'embouchure du Rhône...

Alors vous y êtes déjà, là, aux pieds des Alpilles où le temps du silence a remplacé celui du fracas des armes des temps anciens, sous le règne des redoutables seigneurs des Baux. Alors commence une drôle d'ascension, celle de la Tour des Opies, du nom provençal des Alpilles : Aupiho. Altitude 480 mètres.

Une rangée de vieux cyprés

Pour passer du rêve à la réalité, il aura tout d'abord fallu sortir du village d'Eyguières en direction d'Aureille,doubler le cimetière paysager ainsi que les arènes et,plus loin, s'engager à main droite sur une petite route menant au domaine des Glauges.

On y vend du vin, de l'huile d'olive et l'on y élève aussi des taureaux. Le domaine se longe durant quelques centaines de mètres, puis la piste devient cahotante. Elle marque un petit sursaut en virant à main gauche, débouche sur une modeste plaine et longe deux emplacements d'anciennes carrières. Presque en face, sur la gauche, une voie moins travaillée par les passages successifs file vers une sorte de clairière non loin d'une modeste rangée de vieux cyprès. Et voilà ! Après le temps de l'imagination, retour à la pratique case départ... pédestre.

Un vallon sauvage qui enveloppe...

C'est en effet contre les vénérables cyprès, tout de suite après une barrière DFCI, que commence l'ascension par le vallon de Valdelègue.L'endroit est sauvage, tourmenté, révélant une végétation de garrigue provençale étonnamment fournie,avec de grands chênes kermès, des argeras de surprenante taille, de même pour le romarin. Stupéfiant comme début. Le vallon attire, happe, enveloppe, prend plus encore, pas après pas, étreint, enserre, gobe le promeneur. Drôle de sensation, avec un arrière-goût d'incertaine aventure tant ici, par la débauche de formes, de dessins sauvages, la nature hurle farouchement son indépendance.

Et l'étroit sentier paraît ainsi vouloir se refermer à tout moment tant il serpente, comme s'il n'avait jamais été tracé, comme s'il n'allait qu'à son bon vouloir. Il y a des passages assombris lorsque les branchages créent une sorte de tunnel. Il y en a d'autres où la végétation tourne autour de la taille du promeneur comme si elle allait s'en saisir pour le précipiter au sol. Il y a en aussi qui laissent place à la lumière crue du soleil réverbérée par la pierraille nue surgie des entrailles de la terre.Et, déjà visible droit devant en même temps que sur le côté, la montagne d'impatience. Ou bien est-ce-nous... On était intrigués par la luxuriance du vallon. On le sera autant par l'approche des sommets. Comme une mutation s'opère lentement dans ce paysage éblouissant ! On passe de la chaude étreinte de la végétation à la vision glaciale de la pierre tourmentée,striée, tordue, malaxée par ces folies naturelles successives qui font la géologie.

Un dénuement d'une terriblement belle simplicité

Le passage est soudain, de l'intime découverte offerte par le sentier encaissé à la raideur de la piste qui grimpe à l'assaut d'un col. Il se fait au sortir du vallon, quand le sentier s'élève et butte sur un cairn auprès duquel il faut bifurquer à main gauche vers ce qui ressemble au museau de la montagne. Les arbustes y ont fait leur nid et leur présence accompagne cette première portion de véritable ascension. Au-dessus, tranquille, la falaise en a pris son parti : elle observe et c'est tout. Elle le fait de ses mille et mille trous qui, à y regarder de plus près, laissent à croire qu'ils pivotent comme autant d'yeux curieux. Autant faire la même chose en se retournant pour goûter un peu de la vue. Un grand val s'étale au loin dans une douce torpeur parfois au matin emmitouflée de brume.

Contraste : le contraire nous attend au premier débouché, genre de petit col. La végétation n'est plus. Tels des méduses flottant sous les nuages, les sommets se dressent sur des bras tendus musclés de pierrailles et d'herbes sèches. Le sentier plonge, remonte sur un col, un vrai, là où il va repiquer vers Aureille dans une sorte de défilé tortillard. Mais la Tour appelle, fait signe depuis son sommet : c'est ici à main gauche qu'il faut grimper. L'air toujours en mouvement, la robustesse d'une végétation à ras de terre et les senteurs extrêmes qu'elle dégage, les blocs éclatants tombés des hauteurs, cette ambiance générale si aride et dans son dénuement d'une terriblement belle simplicité. Puis enfin, au bout des pas mordus par la pierraille, le faite de la Tour des Opies et sa vigie, avec une incroyable vue offerte sur les plaines de Crau et de Durance. Comme un torrent, il faut redescendre et deux heures à peine se seront écoulées jusqu'au retour.

Paul Teisseire