Entretien avec Didier Raoult, Directeur de l'IHU Méditérranée et Lauréat du Grand Prix Départemental de la Recherche

Si on fait une photographie de ce qui se passe depuis un an, quels enseignements peut-on en tirer ?
Didier Raoult : On peut dire que nos sociétés occidentales sont d'une grande fragilité face à des situations inattendues, chaotiques, probablement parce qu’on n’a pas vécu de situations extrêmes depuis très longtemps. Cela montre qu'on n’a pas d’entraînement et peu de mémoire. On a des difficultés voire une incapacité à répondre à ces défis. Par exemple, nos capacités de production sont très faibles. Pour preuve, on n’a pas d’usines pour fabriquer les gants, les masques, les tenues. Ça met en évidence qu’on est passé à une société où le “faire” a été oublié, et où la proportion d’emplois dans le tertiaire est passée à 80 %.
Peut-on parler de deuxième rebond ?
D. R. : Des maladies infectieuses qui font des rebonds, on n’a jamais vu ça. Même pour la grippe espagnole qui s’est passée en deux phases, on ne sait pas si c’est un mutant qui a engendré cette deuxième phase ou pas. Donc non, ce n’est pas le rebond d’un même virus. Après l’été, on a vu qu’une autre épidémie est apparue avec ce qu’on appelle le variant 4 et qui est toujours en cours. C’est ce variant qui circule actuellement. Il y a des épidémies différentes avec des variants différents.
Le nouveau variant est-il plus dangereux ou plus épidémique ?
D. R. : On ne peut pas savoir. Le premier que l’on a identifié et qui venait d’Afrique était beaucoup moins sévère. Et il s’est éteint tout seul. Le variant 4 donne la même mortalité que la première épidémie. Mais cette mortalité est très faible. Chez nous à l’IHU, elle est de 1 pour 1 000.
D’où vient ce mutant ?
D. R. : Il peut y avoir plusieurs facteurs mais il pourrait très probablement venir d’élevages massifs de visons, qui sont extrêmement sensibles à ce virus. Les épidémies se développent très facilement si vous avez des concentrations importantes d’animaux qui ont la même sensibilité, comme pour les chauves-souris. Il y a 6 groupes de mutants sortis des visons, qui ont été séquencés et rapportés. Les visons ont attrapé ce virus des hommes, et ils le retransmettent à l’homme. Les Danois et les Hollandais qui ont de gros élevages de visons ont étudié le phénomène. Un autre facteur est l’utilisation du Remdesivir©* qui entraîne des mutations, en particulier chez les patients immuno-déprimés car ils sont porteurs chroniques de virus.
Le vaccin actuel agit-il sur ces mutants ?
D. R. : On ne sait pas encore. On verra. Mais ce vaccin n’est ni le diable ni le bon Dieu. On ne va pas arrêter l’épidémie avec un vaccin qui est ciblé sur une protéine d’un virus. Ça diminue le nombre de cas. À courte échéance, il devrait mettre les personnes vulnérables à l’abri d'accidents immédiats. À long terme, il faut être plus prudent. Il faut vacciner des sujets cibles pour lesquels le bénéfice pourrait être raisonnable.
Faut-il se faire vacciner ?
D. R. : C’est une question de calcul risque/ bénéfice personnel. Chez les gens qui ont un grand bénéfice à être vacciné, c’està- dire ceux qui ont vraiment un risque de contracter la maladie et d’avoir une infection sévère, franchement c’est raisonnable. Mais le bénéfice pour quelqu’un qui a 20 ans à se faire vacciner contre cette maladie est relativement modeste. Après, il faut démontrer que le bénéfice pour la société est avéré, à savoir que la contagiosité va être arrêtée, qu’il n’y aura plus de porteurs, et ça, c’est une décision beaucoup plus complexe à prendre.
Quelle est la solution ?
D. R. : Il faut continuer à tenter des thérapeutiques, à évaluer les traitements qui sont disponibles et pour lesquels il y a des éléments qui laissent penser que ça peut fonctionner. L’État doit évaluer les médicaments qui ne sont pas rentables car, aujourd'hui, plus personne ne fait d'essais avec. C’est l’industrie qui organise les essais. Or il faut reprendre l’habitude d’utiliser ce patrimoine de médicaments, un patrimoine moléculaire qui est extraordinaire. Oui, il faut continuer à tenter ces thérapeutiques et les organiser, à essayer d’autres traitements et arrêter de penser que le secours thérapeutique ne viendra que par des inventions nouvelles. Il y a une séparation très claire entre le monde des plus riches habitué à avoir des nouvelles molécules et réticent à considérer avec objectivité le rôle des molécules plus anciennes, et les pays qui, de toutes manières, n’ont pas le choix, car ils ne peuvent pas se payer un traitement à 2 000 euros.
Êtes-vous optimiste pour l’avenir ?
D. R. : Je suis toujours optimiste. C’est ma nature. * Antiviral utilisé dans le traitement de la Covid-19 (ndlr)
Dernière parution : “Carnets de guerre, Covid-19”. Didier Raoult - Ed. Michel Lafon
PRIX DÉPARTEMENTAL DE LA RECHERCHE
Le 5e Prix départemental de la Recherche vient de couronner ses lauréats. En cette année de crise sanitaire, il est plus qu’indispensable d’être auprès des chercheurs et de les encourager dans leurs travaux. Robotique, cancérologie, maladies infectieuses, de nombreux domaines sont à la pointe de la découverte sur notre territoire.
LAURÉAT DU GRAND PRIX > Professeur Didier Raoult de l’IHU Méditerranée infection.
Expert mondialement reconnu des pathogènes émergents et des maladies infectieuses, ses recherches sur les diagnostics et les traitements ont débouché sur la mise au point de technologies de pointe permettant d’isoler et de cultiver des organismes jusqu’alors inconnus. Les nominés : Docteurs Isabelle Imbert (AMU) et Rosa Cossart (Institut neurobiologique de la Méditerranée).
LAURÉAT DU PRIX SPÉCIAL > Docteur Julien Serres de l’Institut des Sciences du mouvement.
Ses recherches s’intéressent à la navigation autonome et la mise au point d’un robot autonome, l’AntBot, qui s’inspire de la fourmi du désert, et qui trouve son cap grâce à une boussole céleste. Les nominés : Docteur Rehda Abdeddaim (Institut Fresnel) et le Professeur Thierry Djenizian (Centre microélectronique de Provence).
LAURÉAT DU PRIX JEUNE CHERCHEUR > Docteur Aline Frey du Laboratoire de Neurosciences cognitives.
Son projet porte sur l’influence de la pratique musicale sur le développement des fonctions cognitives, et sur les apprentissages scolaires fondamentaux. Les nominés : Docteurs Chiara Bastiancich (Institut de neurophysiopathologie) et Mar Benavides (Oceanomed).