En 2015, quand Olivier Marchetti transforme les 26 000 m2 de bâtiments de l’entreprise familiale à Martigues en studios de cinéma, il ne se doute pas que Provence Studios deviendrait l’un des plus grands studios de cinéma français.

Comment vous êtes-vous lancé dans le pari fou de transformer le site de l’entreprise familiale en studios de cinéma ?
Olivier Marchetti : C’est une aventure en cascade. Quand nous avons vendu notre activité de transport routier de conteneurs maritimes, je voulais changer d’horizon. Nos entrepôts basés sur un site de 22 hectares à Martigues avaient déjà servi occasionnellement de lieu de tournage et je savais qu’on manquait de studios de cinéma en Provence. Au moment où je lance une étude de marché sur cette activité, la production de la série No Limit que nous avions déjà accueillie en 2010 me contacte dans l’urgence car elle n’a plus de studios pour tourner. Je les reçois quelques jours plus tard, un 1er avril, j’ai cru à un poisson d’avril !
Dans la foulée, la production de la série Les disparus du Lac, celle du film Père fils thérapie se succèdent. Ensuite, nous avons enchaîné avec des grosses productions comme celle de Gaston Lagaffe et Taxi 5 ou encore des clips musicaux… Ça s’est fait tout seul, je n’ai pas eu à appuyer sur le bouton.
Comment expliquez-vous que Provence Studios soit devenu l’un des plus grands studios de cinéma de France ?
O. M. : C’est une alchimie. En Provence, nous avons des intermittents et des techniciens audiovisuels confirmés, en partie grâce à la série Plus belle la vie, nous avons une lumière fantastique, des infrastructures routières et aéroportuaires, le TGV, des paysages qui peuvent se prêter à tous les décors naturels, des sites où l’on se croit en Afrique, d’autres sur la Lune. Et à Martigues, ici chez Provence Studios, il y a 26 000 m2 de locaux répartis sur 22 hectares, au bord du Canal de Caronte, plusieurs plateaux de tournage dont un de 2 400 m2 en studio vert, des ateliers de menuiserie, des décors permanents et deux backlots de 18 000 m2 pour les décors extérieurs… Bref, c’est le lieu idéal pour le cinéma.
Vous accueillez le tournage de la série américaine Serpent Queen consacrée à Catherine de Médicis, vos studios sont en pleine effervescence ?
O. M. : Oui, c’est très impressionnant. On travaille vraiment à l’américaine avec des conditions sanitaires très strictes. Quelque 350 personnes sont à l’oeuvre pour le tournage de cette série historique qui nous replonge dans la vie de la reine de France, notamment lors de son passage en Provence en 1564. Ce tournage va nous occuper jusqu’au mois de septembre. Là encore, c’est une belle aventure qui marque certainement un tournant vers l’international pour Provence Studios.
Quelles sont les retombées économiques d’un tournage comme celui-ci ?
O. M. : C’est d’abord de l’emploi direct et indirect. C’est tout un écosystème qui est sur le pont : des costumiers, des cascadeurs, des intermittents, des techniciens, des hôteliers, des prestataires de service pour la restauration… Bref, une telle activité fait vivre plusieurs centaines de familles et injecte plusieurs dizaines de millions d’euros dans l’économie locale. Aujourd’hui mon combat, c’est de parvenir à structurer la filière de formation aux métiers du cinéma et de l’audiovisuel en Provence pour pouvoir répondre à la demande avec des effectifs locaux, notamment dans le domaine technique.
Vous êtes sur un marché mondial très concurrentiel. Comment peut-on se démarquer ?
O. M. : Le cinéma est une puissance économique mondiale, nous devons être en capacité de capter ce marché, notamment celui des séries qui est en plein boom. Plusieurs milliards d’euros y sont investis par les grands producteurs et les plateformes de streaming. Localement, nous avons intérêt à structurer cette filière et à travailler en réseau avec les autres studios de la région, comme celui de la Victorine à Nice, pour être compétitifs. Ensuite, nous devons investir. J’ai un projet pour étendre nos studios et nous venons d’investir dans la création d’un nouveau studio équipé d’écrans LED qui permettent d’afficher des décors numérisés extrêmement réalistes. Avec cette technologie toute récente, nous allons pouvoir répondre aux demandes les plus folles des producteurs.
Quelles sont les conséquences de la crise sanitaire sur votre activité ?
O. M. : Outre des adaptations sanitaires très strictes, cette crise est aussi une aubaine parce qu’elle s’accompagne d’une explosion des séries télévisées, il y a de plus en plus de séries et de moins en moins de films. Les règles du jeu changent, tourner en studio au même endroit en évitant d’avoir à se déplacer et à traverser des frontières, c’est un atout pour nous. La crise a modifié les pratiques. Dans chaque crise, il y a des opportunités. Pour nous, c’est un alignement des planètes.

LE CINÉMA ET LA PROVENCE, JE T’AIME MOI NON PLUS…
Haut lieu du cinéma au début du 20e siècle, la Provence renoue progressivement avec son histoire en se plaçant aujourd’hui comme le deuxième pôle français derrière l’Ile-de-France grâce notamment aux nombreux festivals de films et aux tournages qui s’y déroulent tout au long de l’année, mais également au gisement de comédiens et de techniciens locaux.
Outre le rôle primordial des Frères Lumières à l’origine des premières projections de films photographiques sur grand écran dont celle de l’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (1896), Marcel Pagnol a aussi oeuvré à l’implantation du cinéma en Provence avec la création de ses propres studios rue Mermoz à Marseille, puis au Domaine de la Buzine (1941). Plus récemment, au début des années 2000, c’est la naissance des studios de la Belle de Mai à Marseille qui ouvre une nouvelle page avant celle de Provence Studios à Martigues en 2015.