À 23 ans, Arnaud Jerald est recordman du monde de descente en apnée bi-palmes. En deux ans, il a accumulé les titres et les médailles. Mais plus que les records, c’est sa maturité et sa philosophie de vie qui surprennent. En plein entraînement pour les championnats du monde, nous avons tenté de comprendre ce qui fait plonger ce surdoué de la discipline.

Vous êtes à 23 ans recordman du monde de descente en apnée en bi-palmes. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Arnaud Jerald : Grâce à mon père, j’ai toujours été en rapport avec la mer. Il m’a initié à l’apnée très tôt dans les calanques pour me faire découvrir un autre monde et quand j’ai commencé à aller profond, il m’a inscrit à un stage d’apnée pour me permettre de progresser en sécurité. C’est son métier, il est contrôleur sécurité en entreprise. Cela m’a permis d’aborder ce sport extrême de manière sereine. Et c’est là, sur le bateau en regardant la mer et mon profondimètre que je me suis dit qu’un jour, je deviendrai l’homme le plus profond du monde. Aujourd’hui, j’y suis arrivé.
Quel a été le déclic ?
A. J. : Depuis tout petit, j’ai des troubles “Dys” : dyslexie, dysphasie, dyspraxie et bien d’autres. Et à force de suivre des psy, c’était devenu étouffant. J’avais comme une bulle autour de moi. Quand je suis descendu au large, à 30 mètres sous l’eau, j’ai ouvert les yeux et c’était comme un miroir. Au fond, on ne voit rien : pas de haut, pas de bas, pas de poissons juste la profondeur et le noir. Et pourtant, c’est là que je me suis enfin trouvé et compris. En faisant de l’apnée, j’ai commencé à respirer. À ce moment-là, je suis passé dans une autre dimension.
Comment y êtes-vous parvenu ?
A. J. : J’ai d’abord convaincu mes parents en les rassurant et en passant un BTS électronique. C’était une première victoire. Mais très vite j’ai placé l’apnée comme ma priorité. J’ai compris que je prendrais plus de risques en faisant un boulot que je n’aime pas qu’en plongeant à 100 mètres. Mais il a fallu aussi apprendre et comprendre. De 16 ans à 21 ans, j’ai écumé plusieurs clubs et observé les apnéistes, leur mode de fonctionnement. Je me suis inspiré d’eux et trouvé ma philosophie sportive.
Quelle est-elle ?
A. J. : Je plonge pour le plaisir avant tout car le mental est primordial, il faut avoir faim, il faut avoir envie d’aller loin. Je me donne le temps de progresser en profondeur. L’hiver je ne suis pas dans l’eau et j’en profite pour travailler mon physique sur mon VTT et en salle. Je ne cours pas après les records ni les médailles même si ça fait parti du jeu. On a toujours le droit de dire non si on n’a pas les conditions de sécurité optimum pour une plongée. L’accident n’est pas forcément fatal à partir du moment où j’ai une marge d’erreur.
Quelle est votre préparation avant une compétition ?
A. J. : De l’entraînement mais raisonné. Je plonge avec une équipe, un sondeur, des plongeurs mais je n’ai pas suivi la technique de mes pairs. Par exemple, quand certains prennent de l’oxygène pur après une descente pour récupérer plus vite, moi je préfère prendre deux jours de repos. C’est une autre approche mais je tiens à être irréprochable sur tous les aspects : mon hygiène de vie, mes résultats et mes records.
Justement, en mai dernier vous avez battu le record de descente. Quelle a été votre sensation ?
A. J. : J’ai d’abord pensé à toute l’équipe qui m’avait accompagné pendant deux mois.
Puis après, pendant quelques secondes, je me suis revu à Planier à bord du bateau me promettant de battre des records de profondeur. Je sais aujourd’hui que ce ne sont pas les performances qui me font avancer. C’est ce que je vais chercher au fond, pour apprendre à me découvrir.
Vivez-vous de votre sport ?
A. J. : Sur 150 athlètes, nous ne sommes qu’une dizaine dans le monde à vivre de l’apnée. Pas grâce à la compétition puisqu’il n’y a aucune prime, mais grâce aux sponsors et aux conférences. J’interviens souvent dans les entreprises, dans les écoles pour expliquer les sensations de descente en y mettant des mots simples. Nous ne sommes pas des dieux et ce que nous vivons, nous pouvons facilement le transmettre à tout le monde : faire d’une faiblesse une force, minimiser les risques en assurant une sécurité, tout est transmissible que ce soit en sport extrême, en école ou en usine.
Quel est votre rapport avec Marseille ?
A. J. : J’y suis né, j’y vis et je ne me vois pas habiter ailleurs. En voyageant, je suis surpris de voir d’autres mentalités qui ne me correspondent pas. Ici, il y a une identité particulière. Il y a un caractère qui transpire, de la part des personnes mais aussi de la ville et de la mer. Et puis c’est la ville de Zidane. Je n’ai pas de mentor mais je me suis toujours inspiré de lui, de sa façon d’être. Il est proche de sa famille tout comme moi. Mon rêve serait de le rencontrer, non pas comme une groupie mais pour parler de cette philosophie de vie avec lui, de cette façon de voir les choses.
Et demain ?
A. J. : Je n’ai que 23 ans. Jacques Mayol plongeait encore à plus de 100 mètres après 50 ans. Je me dis que je peux plonger jusqu’à 40 ans. Tout est possible.

PALMARÈS :
Record du monde d’apnée catégorie bi-palmes :
117 mètres de profondeur en juin 2021
Champion du monde 2021
Vice-champion du monde 2018
Champion de France 2017 et 2019 bi-palmes
3 records de France bi-palmes
Troisième aux Championnats d’Europe 2017 bi-palmes
Deuxième au Nice Abyss Contest 2017
